Kinshasa, 23 avril 2025- Le ton est monté d’un cran ce mercredi à la Cour constitutionnelle. Le procureur général a frappé fort , 10 ans de travaux forcés et de servitude pénale requis contre l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, avec l’arrestation immédiate exigée à l’audience. “Il doit répondre de ses actes devant la justice”, martèle l’organe de la loi, convaincu que Matata a dirigé de main de maître le naufrage financier du projet agro-industriel de Bukanga-Lonzo.
Outre cette peine lourde, l’homme politique se voit également frappé de 10 ans d’inéligibilité. Une sanction de 20 ans au total qui pourrait sonner comme la fin de ses ambitions politiques. Ses coaccusés ne sont pas épargnés , 5 ans d’inéligibilité ont été requis contre Déogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale, tandis que l’homme d’affaires sud-africain Christo Grobler Stephanus risque l’expulsion définitive du territoire congolais.
Le procès s’est poursuivi malgré l’absence des trois prévenus, jugés par défaut. La Cour s’est appuyée sur les dépositions accablantes des inspecteurs des finances, révélant que 83 % des fonds débloqués pour le projet avaient pris la direction de l’Afrique du Sud, au profit de sociétés comme AFRICOM, sans le moindre appel d’offres.
“Qui était Africom ?”, s’est interrogé le juge. Une société holding sans activité propre, n’ayant que trois ans d’existence au moment de la signature du contrat, et sans aucune expertise agricole. Pire, selon l’Inspection générale des finances (IGF), plusieurs sociétés fictives ont perçu d’importantes sommes sans fournir de prestation réelle.
Interpellée sur la responsabilité de Matata Ponyo, l’IGF a été claire : “Tout était piloté par le Premier ministre. Toutes les dépenses étaient autorisées par lui.” L’ancien ministre des Finances n’était, selon eux, qu’un délégué, sans pouvoir réel dans ce dossier. Une position renforcée par le procureur, qui a décrit Matata comme « le concepteur exclusif » du projet.
Face aux accusations de politisation, le président de la Cour, Dieudonné Kamuleta, a rappelé avec fermeté que « la séparation des pouvoirs est consacrée par la Constitution ». Et de souligner : « L’Assemblée nationale ne peut en aucun cas faire injonction à la Cour constitutionnelle. »
Le chef de la Cour n’a pas mâché ses mots contre Matata : “Il ne peut pas aujourd’hui chercher par des subterfuges à empêcher la Cour de faire son travail, en évoquant une soi-disant décision du Parlement.” Il a précisé qu’aucun acte officiel de l’Assemblée ne faisait obstacle à la procédure judiciaire en cours.
En effet, Matata Ponyo avait écrit à la Cour pour faire valoir cette décision parlementaire, refusant de comparaître. Ses deux coaccusés ont invoqué des raisons médicales pour justifier leur absence : l’un en traitement à l’étranger, l’autre souffrant.
Le dossier est désormais clos sur le plan de l’instruction, et la cause prise en délibéré. Le verdict, très attendu dans l’opinion publique comme dans la sphère politique, sera rendu le 14 mai. En attendant, l’ombre du projet Bukanga-Lonzo continue de hanter les institutions de la République.
Avec plus de 280 millions de dollars « évaporés », selon les chiffres du parquet, cette affaire symbolise aux yeux de nombreux Congolais les dérives d’une gouvernance opaque. La justice congolaise s’est-elle engagée sur le chemin de la reddition de comptes ? Réponse dans quelques semaines.